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vention, que la mise en forme logique est indifférente à la matière de vérité. Au contraire, la philosophie résout le problème, ou plutôt elle fait voir que le savoir scientifique l’a effectivement résolu, si elle sait assigner un même but à l’effort de l’inventeur et au travail du logicien : l’extension progressive des opérations mathématiques ».

L’extension progressive des opérations mathématiques, nous dit-on. Divers passages de l’ouvrage de M. Brunschvicg donneraient à penser qu’il faut entendre par là une progression continue, sans heurt, l’effet du mouvement naturel de l’esprit. Or, ainsi interprétée, la conclusion de M. Brunschvicg nous paraît difficilement conciliable avec la conception que l’état actuel de l’Analyse amène les mathématiciens à se faire de leur œuvre.

Il semble y avoir, au sein des mathématiques, un conflit, une opposition sur laquelle nous avons longuement insisté plus haut. M. Brunschvicg paraît penser que ce conflit est artificiel, qu’il est dû à un accident historique, à la vogue passagère de l’arithmétisme de Kronecker et de la logistique de Russell et Couturat. Faut-il donc supposer que les mathématiciens qui, indépendamment de toute théorie philosophique, ont conscience d’une dualité de points de vue, entre lesquels ils doivent se partager, et qu’il leur faut réconcilier — faut-il supposer que ces savants sont purement et simplement dupes d’une illusion ?

Les mathématiciens qui cherchent à déterminer les caractères de l’intuition n’entendent nullement, croyons-nous, l’opposer à « l’intelligence ». D’autre part nous admettrons volontiers avec M. Brunschvicg[1] que

  1. C’est un point sur lequel nous reviendrons plus loin (chapitre V, iii).