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le raisonnement. Ce mode d’aperception — ajoute-t-il — nous avons par instants conscience de le pratiquer (dans le travail de découverte), et nous constatons qu’il ne ressemble aucunement à la connaissance démonstrative ; en nous efforçant de l’isoler, nous réussissons à en noter quelques caractères ; cependant, nous devons reconnaître qu’il reste mystérieux et qu’en en affirmant la réalité, le mathématicien pose une question au philosophe plutôt qu’il ne l’aide à en résoudre une.


Bien qu’elle limitât ainsi ses affirmations — et parfois, peut-être, pour cette raison — la doctrine intuitioniste des mathématiciens modernes a été l’objet de critiques assez nombreuses. Les logiciens l’ont jugée d’abord contraire à leurs principes, car, disaient-ils, seule la logique est juge de la vérité et permet, par conséquent, de fonder une science rigoureuse et certaine. Puis, avertis que l’on ne contestait pas la justesse de cette observation, ils ont émis l’idée que, si elle ne voulait pas porter atteinte à la logique, la doctrine intuitioniste perdait toute raison d’être. « Mais alors — écrit Couturat dans l’un de ses derniers articles[1], — nous ne voyons plus rien qui sépare Poincaré des logisticiens car, bien évidemment, ceux-ci n’ont jamais prétendu supprimer ou proscrire l’intuition intellectuelle. » — M. Brunschvicg, d’autre part, fort opposé aux vues métaphysiques des logisticiens, a élevé contre l’intuitionisme des objections d’un ordre différent.

D’après M. Brunschvicg[2], l’intuitionisme, entre les mains des mathématiciens, a surtout été une arme

  1. Logistique et intuition, apud Revue de Métaphysique, mars 1913, p. 268.
  2. Les Étapes de la Philosophie Mathématique, chapitre XX.