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sur la science se sont modifiées. Nous ne croyons plus que celle-ci puisse progresser par l’effet d’opérations purement mécaniques. Il nous apparaît que la tâche principale du mathématicien, — la plus difficile et la plus féconde, — est le travail d’analyse qui précède la construction des théories. Ainsi nous ne pouvons plus croire que les natures simples nous soient données d’emblée ni même qu’elles soient séparées avant d’avoir été découpées — artificiellement — par le savant. Nous n’admettrons pas davantage que la connaissance directe des faits mathématiques ait pour principal caractère d’être claire et distincte ; nous la regarderons plutôt comme une vue confuse et imprécise, bien que pleine et profonde. Pascal, mieux que Descartes, a caractérisé l’intuition, lorsqu’il a écrit[1] : « Nous connaissons la vérité, non seulement par la raison, mais encore par le cœur ; c’est de cette dernière sorte que nous connaissons les premiers principes, et c’est en vain que le raisonnement, qui n’y a point de part, essaye de les combattre. Et c’est sur ces connaissances du cœur et de l’instinct qu’il faut que la raison s’appuie et qu’elle y fonde tout son discours ».

Le savant moderne, toutefois, ne cherche pas à expliquer lui-même, il ne prétend pas comprendre complètement en quoi consiste et dans quelles conditions peut agir l’intuition. Les définitions qu’il en donne restent le plus souvent négatives. Les vérités mathématiques, dit-il, ne sont ni des conséquences de faits expérimentaux, ni des résultats de constructions ou déductions logiques : donc elles supposent un mode d’aperception qui ne se confond, ni avec l’expérience des sens, ni avec

  1. Pensées, fo. 191 et sect. IV fo. 282. — Cf. Brunschvicg, les Étapes de la Philosophie mathématique, p. 170.