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une idée si nous remontons à l’origine première du concept de fonction, si nous envisageons ce concept tel qu’il se présente primitivement à notre esprit, avant toute élaboration algébrique et logique.

Concevoir une fonction d’une variable — une correspondance entre deux variables mathématiques, — c’est, en définitive, admettre qu’entre deux termes variant simultanément il existe une relation toujours identique à elle-même ; c’est postuler que, sous le changement apparent de l’antécédent et du conséquent, il y a quelque chose de constant. Or, ce postulat, nous le connaissons bien. C’est celui qui préside, du haut en bas de l’échelle, à toutes les sciences physiques et naturelles. C’est le concept général de loi.

Aussi bien les difficultés que l’on rencontre dans l’étude des fonctions mathématiques ne sont-elles pas, à peu près, du même ordre que celles dont doivent triompher les physiciens ? Étant donnée une relation conçue a priori, par exemple l’action réciproque de deux molécules électrisées placées dans un certain diélectrique, le physicien cherche à la traduire par une relation quantitative. Il en est de même en Analyse : nous avons avant tout travail la conception de la fonction y(x), c’est-à-dire une intuition de la loi mathématique d’après laquelle, lorsque nous choisissons une valeur arbitraire de x, une certaine valeur de y se trouve par là même désignée ; puis nous nous efforçons d’obtenir des égalités exprimant le moins mal possible cette étrange solidarité des deux variables x et y.

La correspondance mathématique n’est pas une conséquence des opérations algébriques, elle est l’objet même qui les détermine. Derrière cet échafaudage de symboles que nous superposons indéfiniment les uns aux autres, — comme ferait un habile jongleur se plai-