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une valeur par elle-même, en dehors des applications auxquelles elle peut donner lieu. Comment, dès lors, faire dépendre cette valeur, et la discrimination qui nous permet de l’apercevoir, de considérations utilitaires ?

Si, d’ailleurs, la Mathématique s’adapte à peu près exactement aux conditions expérimentales, ce n’est point en vertu de ses propriétés intrinsèques, mais par suite de circonstances contingentes. Il se trouve qu’une science relativement simple permet d’expliquer les phénomènes de la nature. C’est là une chance heureuse qui aurait pu fort bien ne pas se présenter. C’est ainsi que, si le système solaire, au lieu d’être isolé, se trouvait voisin d’étoiles grosses et nombreuses, dont l’attraction sur notre monde viendrait s’ajouter à celle du soleil, l’étude du mouvement de la terre au moyen des équations de la mécanique rationnelle deviendrait pratiquement impossible.

Aussi bien, lorsqu’ils soutiennent que notre science est « commode » et « adaptée à nos besoins », ce n’est point peut-être l’accord de cette science avec l’expérience que les pragmatistes nominalistes ont principalement en vue, mais plutôt le fait qu’elle est conforme à la nature de notre esprit et bien adaptée aux conditions dans lesquelles s’exerce notre activité intellectuelle. — En ce cas, la thèse pragmatiste nous paraît démentie par les conclusions auxquelles nous sommes parvenus plus haut. Nous reconnaissons que le mathématicien vise à constituer une science qui soit, au sens indiqué, aussi « commode » que possible ; mais nous constatons également qu’il n’y parvient pas, ou, plus exactement, que, malgré sa puissance et sa richesse, la mathématique commode ne saurait nous suffire. La méthode mathématique la mieux adaptée à nos besoins intellectuels est en effet, sans nul doute, celle de l’Al-