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Sans doute ne faut-il pas conclure de là que notre science mathématique soit indépendante de l’expérience. D’après Henri Poincaré, au contraire, la plupart de nos théories seraient, en dernière analyse, déterminées par des considérations d’origine expérimentale. Mais ce n’est pas en raison d’une nécessité fondamentale, c’est uniquement pour des motifs accidentels qu’il en est ainsi. Afin d’obtenir une Mathématique qui soit applicable à l’étude de la physique et qui soit d’accord, d’autre part, avec les conditions ordinaires de la connaissance humaine, nous devons, entre une infinité de systèmes de postulats théoriquement possibles, choisir ceux-ci et non pas ceux-là, et notre choix est guidé par l’expérience de nos sens ; mais ce n’est pas ce choix qui saurait conférer aux postulats et aux notions de notre science un caractère d’objectivité.

On voit comment, de cette théorie de la science, certains penseurs ont pu glisser vers la doctrine néo-nominaliste qu’a développée, il y a vingt ans, dans une série d’articles remarquables, M. Édouard Le Roy[1]. M. Le Roy s’est défendu d’être nominaliste, et cette qualification ne convient pas, en effet, à sa philosophie ; mais il ne saurait s’étonner qu’on l’ait appliquée à sa conception des sciences mathématiques et physiques. Suivant une formule de Le Roy qu’a longuement discutée Henri Poincaré[2], le savant crée le fait. « Les faits, dit-il ailleurs[3], sont taillés par l’esprit dans la matière amorphe du Donné ». « La[4] science [rationnelle] n’a pas

  1. Henri Poincaré s’est prononcé, quant à lui, en termes catégoriques contre la doctrine néo-nominaliste.
  2. Science et Philosophie, apud Revue de Métaphysique, 1899 et 1900.
  3. Revue de Métaphysique, 1899, p. 517.
  4. ibid., p. 559.