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traire qui arriva. À peine la proposition en question était-elle établie que la théorie des équations, grâce aux travaux d’Évariste Galois[1] et d’Abel lui-même, rebondissait dans des directions nouvelles et prenait une importance plus grande que jamais. Il avait suffi, pour lui imprimer cet élan, de modifier l’énoncé du problème posé, et d’attaquer de biais la difficulté que l’on ne pouvait aborder de front. Au lieu de chercher une expression algébrique des racines des équations, on s’efforça d’isoler certaines familles ou classes d’équations telles que les racines des équations d’une même classe s’expriment par des formules algébriques en fonction les unes des autres : ainsi toutes les équations d’une classe seraient — si l’on en résolvait une — résolues en même temps, fait d’où le mathématicien tire des conséquences plus intéressantes et plus utiles que celles auxquelles pourrait conduire le calcul effectif des valeurs des racines. Adoptant un point de vue un peu différent, on peut également se demander quels sont les nombres qu’il faudrait adjoindre aux nombres « ordinaires » (nombres rationnels et nombres calculables par radicaux) pour que les racines de l’équation puissent être exprimées, par des formules algébriques, au moyen des nombres ordinaires et nombres adjoints. De la forme, assez imprévue, ainsi donnée au problème des équations, naît une théorie extrêmement féconde.

  1. Le mémoire fondamental de Galois (mort à vingt ans en 1832) ne fut publié qu’en 1846 dans le Journal de Liouville : « Mémoire sur les conditions de résolubilité des équations par radicaux ». Les voies qui conduisaient aux découvertes de Galois avaient été préparées par Lagrange, Abel, Cauchy. Ces découvertes furent continuées d’autre part par les travaux d’Hermite, Jordan, Klein et de nombreux autres analystes. Cf. M. Winter, la Méthode dans la Philosophie des Mathématiques, p. 146 et suiv.