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premières ; il en est au contraire qui sont complexes et manifestement dérivées.

Pourtant cette notion d’ordre, sur laquelle sont fondées nos méthodes de démonstrations, s’impose-t-elle d’une façon absolue à l’esprit du mathématicien ? C’est ce que nous ne saurions admettre. Lorsque, en effet, une fois une théorie édifiée, nous l’envisageons dans son ensemble, lorsque nous cherchons à embrasser cette théorie d’un seul coup d’œil, à en comprendre le sens général et la portée, nous constatons que non seulement l’ordre des propositions nous devient indifférent, mais qu’il prend un caractère tout à fait artificiel.

Soit, par exemple, une ellipse. Cette courbe jouit de différentes propriétés : elle est la projection du cercle sur un plan ; elle est le lieu géométrique des points équidistants d’un cercle et d’un point pris à l’intérieur, le lieu des points dont les distances à deux points fixes ont une somme constante, et ainsi de suite. Parmi ces propriétés y en a-t-il une qui soit primordiale, qui doive nécessairement être énoncée la première ? Rien ne nous l’indique. En fait, les géomètres peuvent choisir arbitrairement celle qu’ils préfèrent pour définir l’ellipse, et en déduire successivement toutes les autres. Nous sommes par conséquent obligés d’admettre que le classement des propositions dans la théorie de l’ellipse a une valeur toute relative. Entre les diverses propriétés de l’ellipse, il n’y a pas d’ordre de préséance qui puisse se justifier a priori. Considérées d’un point de vue absolu, ces propriétés sont simultanées et non successives.

Quelle conclusion tirer de ces remarques ? Celle même à laquelle déjà nous avions abouti plus haut : à savoir qu’en enfermant les vérités mathématiques dans un moule de forme rigide et rigoureusement définie, la logique restreint d’une manière artificielle et fortuite le