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Lorsque cette doctrine s’affirma cependant, et dévoila toute son ambition, elle fut aussitôt vivement combattue par la plupart des hommes de science. On peut penser que ceux-ci furent défavorablement impressionnés en entendant les logiciens se déclarer prêts à les supplanter. Mais la répulsion que leur inspira la doctrine panlogique tenait — on ne tarda pas à s’en apercevoir — à des causes plus profondes. Non seulement cette doctrine était trop absolue, mais elle ne venait pas à son heure, elle se présentait trop tard. En effet, les conceptions d’ordre mathématique qui en avaient été le point de départ, et qui dominaient le monde savant au xviiie siècle, avaient cessé depuis lors de diriger les progrès de la science. Si les mathématiciens ne les avaient pas encore ouvertement reniées, on pouvait reconnaître à des signes certains qu’ils ne croyaient plus en leur vertu. Les premiers, ils avaient entrepris l’épuration logique des principes de la science, les premiers, ils avaient eu l’idée de l’algèbre universelle ; mais, à l’époque où cette idée semblait devoir porter tous ses fruits, ils l’avaient, quant à eux, déjà abandonnée.

Que s’était-il donc passé ? Nous pouvons facilement nous en rendre compte si nous observons l’évolution subie par la Mathématique pure au cours de la période moderne.

Le trait le plus frappant de l’histoire des mathématiques entre 1640 et 1780 est sans doute, la rapidité et la facilité avec laquelle se développaient alors et se multipliaient les théories. Comme l’avait très justement remarqué Descartes, le travail mathématique, n’exigeant plus d’effort d’invention, avait pris un caractère mécanique, automatique. Pour réaliser des progrès, le mathématicien de ce temps n’avait qu’à suivre une voie tracée à l’avance, en allant du simple au composé, et du