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gine pour que le mystère dont elle fut tout d’abord enveloppée, et le caractère révolutionnaire que certains lui ont attribué, s’évanouissent entièrement. Le calcul dit « imaginaire » est une application directe de la méthode synthétique algébrico-logique et il est, de plus, une condition indispensable du succès de cette méthode dans le domaine même de l’algèbre élémentaire.

En effet, nous avons vu que l’un des traits essentiels de la méthode algébrique est le caractère formel et mécanique du travail de combinaison auquel elle donne lieu. Le mathématicien, lorsqu’il opère sur les nombres et signes algébriques, fait abstraction de la signification de ces signes pour ne s’intéresser qu’à leur assemblement. Or, ce faisant, il se heurte à un écueil : il se trouve amené, en effet, à former des expressions — celles où entrent des racines carrées — qui n’ont pas toujours un sens réel[1] ; sans que rien soit changé à la composition et au mécanisme des opérations qui les définissent, ces expressions tantôt représentent de véritables grandeurs, tantôt n’en représentent point. Il s’ensuit que l’algébriste doit choisir entre deux partis : ou bien il s’astreindra à traduire en langage arithmétique ou géométrique la série entière de ses calculs afin d’être sûr que ceux-ci ne cessent jamais d’avoir un sens, — et alors il perd tout le bénéfice de la méthode algébrique et en violera le principe fondamental ; ou bien il se résignera à raisonner sur des formules qui eussent été des non-sens pour le géomètre grec.

Entre ces deux partis, le mathématicien de l’école synthétiste ne saurait hésiter. Il opte pour le second et entre dans la voie du calcul imaginaire. Or qu’arrive-

  1. La racine carrée ne représente une grandeur réelle que si la quantité sous le radical est positive ou nulle.