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l’équivoque qui n’a cessé de planer, depuis l’antiquité, sur la signification de ces deux mots si commodes, mais si obscurs, « analyse » et « synthèse ». Pour éviter de nous égarer, à notre tour, dans des confusions verbales, il convient ici d’ouvrir une parenthèse et d’indiquer, avec précision, dans quelle acception les savants du xviie siècle ont employé ces mots et quel sens nous voulons leur attribuer nous-mêmes.


On sait que les Grecs distinguaient, en géométrie, plusieurs espèces d’analyse, qui constituaient des formes de démonstration ou des parties de raisonnement bien déterminées et très spéciales[1]. Au xviie siècle, cependant, le mot « analyse » était d’ordinaire employé dans un sens beaucoup plus gênerai. Consultons, par exemple, le Cours mathématique d’Hérigone (1635) ou le Dictionnaire mathématique d’Ozanam (1691). Nous y voyons qu’analyse, ou résolution, est devenue synonyme de « méthode d’invention », tandis que la synthèse ou composition — étant ce qui s’oppose à l’analyse — est la « méthode de doctrine » ou « d’exposition ». Tel était du temps de Descartes, la signification correcte des mots analyse et synthèse, et c’est dans cette acception qu’il les prend le plus souvent. Ainsi Descartes nous dit dans un passage souvent cité, que les anciens géomètres avaient coutume de se servir seulement de la synthèse dans leurs écrits, « non qu’ils ignorassent entièrement l’analyse, mais parce qu’ils en faisaient tant d’état qu’ils la réservaient pour eux seuls comme un secret d’importance »[2]. En d’autres termes, la découverte était, pour les an-

  1. Voir plus haut, chapitre premier.
  2. Réponses aux secondes objections faites contre les Méditations, Œuvres, éd. Adam-Tannery, t. IX, p. 121-122.