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ment des composés dont la structure soit de plus en plus compliquée.

Cette conception du rôle de l’algèbre est parfaitement conforme, remarquons-le, aux vues qui inspiraient les algébristes du Moyen-Âge et de la Renaissance que nous avons, plus haut, rapproches de Raimond Lulle. Mais ce qui était, chez ces précurseurs, un rêve à demi fantaisiste, est devenu, avec Descartes, une réalité. Dans la Géométrie de 1637, Descartes systématise le point de vue des créateurs de l’algèbre, et, avec un remarquable pouvoir de divination, il aperçoit l’avenir qui est promis à la science si elle s’engage dans les voies qu’il lui indique.

Dans la Géométrie, qu’il présente comme un échantillon de sa Méthode, Descartes s’est proposé de montrer comment par le moyen de l’algèbre il est possible de résoudre les problèmes relatifs aux grandeurs et aux figures en suivant une voie sûre et régulière et en commençant par les objets les plus simples et les plus aisés à connaître, pour monter peu à peu, comme par degrés, jusqu’à la connaissance des plus composés[1].

La sûreté, la régularité de la méthode, voilà donc ce qui doit distinguer la science moderne de la géométrie ancienne, ce champ clos où les virtuoses de la démonstration pouvaient seuls se mouvoir et accomplir leurs prouesses. Descartes se propose expressément de rompre avec la tradition grecque, et c’est par là qu’il diffère profondément de Fermat.

C’est un fait sur lequel certains historiens modernes ont insisté que Fermat pratiquait pour son compte la méthode cartésienne des coordonnées et qu’il l’avait exposé dans un traité didactique antérieur de plusieurs

  1. Discours de la Méthode, II.