Page:Boutroux - L’idéal scientifique des mathématiques.djvu/110

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

exercer ». Il a résolu de quitter « la recherche des questions qui ne servent qu’à exercer l’esprit[1] ». En 1638, il y a déjà plus de quinze ans qu’il fait profession de « négliger la géométrie »[2]. Et c’est tout juste si quelques années plus tard il ne renie pas son traité de 1637, indiquant que, s’il avait à le refaire, il le composerait autrement.

Sans méconnaître l’importance de ces déclarations, il importe d’en bien préciser la signification.

Descartes estime peu la pure Mathématique, non seulement celle de ses prédécesseurs, mais aussi celle qu’il a cultivée lui-même. Ce point paraît bien acquis. Mais une distinction s’impose, pourtant, entre la méthode et l’objet de la science. Nulle part, croyons-nous, Descartes ne met en doute la puissance et la portée de la méthode des mathématiques. Son dédain ne vise que l’objet auquel cette méthode est appliquée, et il nous en a lui-même indiqué clairement les raisons.

L’objet des mathématiques est sans valeur parce qu’il n’est d’aucune utilité dans l’étude de la nature. Ceux qui le cultivent sont des chercheurs oisifs[3], adonnés à un vain jeu de l’esprit. Trouverons-nous, du moins, dans la spéculation mathématique, l’occasion d’exercer nos facultés inventives et la satisfaction de déployer les ressources de notre ingéniosité et de triompher de difficultés subtiles ? Non, car, grâce à la méthode algébrique, la Mathématique devient une science mécanique, qu’il est désormais à la portée du premier venu de conduire à bien. — C’est pourquoi — nous reviendrons tout à l’heure sur ce point — Descartes ne poursuit pas

  1. Lettre à Mersenne, 27 juillet 1638, ibid., t. II, p. 268.
  2. Lettre à Mersenne, 31 mars 1638, ibid., t. II, p. 95.
  3. « Insania problemata… quibus logistæ vel Geometræ otioso ludere consueverunt » (Regulæ, IV).