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Le mystère, il est vrai, devrait se dissiper, lorsque, laissant de côté la science du passé, nous tournons notre attention vers nos contemporains. Nous les voyons, en effet, travailler, sous nos yeux, et nous avons la ressource de les interroger directement. Qu’on ne s’imagine pas, cependant, que nous sommes, pour cela, beaucoup plus avancés. Les questions indiquées plus haut ne sont pas, en effet, de celles auxquelles le mathématicien même le plus qualifié puisse répondre d’emblée. Il lui faut un grand effort d’abstraction et de réflexion pour les traiter d’une manière objective et pour les dégager de la masse des observations banales, ou au contraire trop spéciales, trop accidentelles, qui se présentent en foule à son esprit lorsqu’il cherche à analyser sa propre activité. D’ailleurs le véritable savant s’est à ce point fondu avec son œuvre qu’il lui est devenu impossible de s’en abstraire ; et c’est pourquoi, lorsque nous voulons connaître ses vues sur la science, souvent il repousse notre prétention comme une sorte d’intrusion dans sa vie privée ; ou bien, s’il consent à nous faire des confidences, celles-ci relèvent parfois de l’autobiographie et de la psychologie intime plutôt qu’elles ne nous instruisent sur la direction et le développement des théories scientifiques.

Cette difficulté que nous éprouvons à nous renseigner sur la pensée profonde des hommes de science a souvent été remarquée et elle a, certes, quelque chose d’un peu troublant. Pourquoi les mathématiciens, en particulier, hésitent-ils tant à