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de la géométrie et de la mécanique la base de toutes nos connaissances scientifiques ; mais[1] la géométrie dont il veut ici parler ne paraît pas s’être confondue dans sa pensée avec celle, beaucoup plus spéciale, — consistant, à peu près exclusivement dans l’étude des courbes qualifiées « géométriques », — qu’il a cherché à exposer en langage algébrique dans son traité de 1637. En d’autres termes, la Mathématique universelle, c’est-à-dire la Science universelle, que Descartes entreprit de constituer, était ou devait être une explication mécanique de l’univers ; mais ce n’était point une algèbre.

Faut-il conclure de là qu’il y a solution de continuité entre les différentes parties de l’œuvre scientifique de Descartes ? Et doit-on effectivement distinguer dans cette œuvre deux géométries indépendantes l’une de l’autre ? M. Brunschvicg incline à le penser[2], et l’un des arguments qu’il invoque est le suivant : cette manière de voir lui permet d’expliquer le détachement singulier avec lequel Descartes a parlé de sa « Géométrie » et le dédain qu’il professe le plus souvent pour les études mathématiques. La Géométrie, a-t-on dit souvent, ne fut qu’un épisode dans la carrière philosophique de Descartes. Et, en effet, au lendemain même de la publication de ce traité, Descartes écrit à Mersenne[3] : « N’attendez plus rien de moi en Géométrie ; car vous savez qu’il y a longtemps que je proteste de ne m’y vouloir plus

  1. Dans une lettre à Mersenne écrite le 27 juillet 1638, Descartes oppose ces deux géométries : la seconde est la « géométrie abstraite », la première est « une autre sorte de géométrie qui se propose pour questions l’explication des phénomènes de la nature ». (Œuvres de Descartes, édit. Adam-Tannery, t. II, 268).
  2. Brunschvicg, loc. cit., p. 124.
  3. Lettre à Mersenne, 12 septembre 1638, Œuv. de Descartes, t. II, p. 361.