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effet, de connaître, par l’expérience, l’inertie et la force ; il faudrait pour cela avoir assisté à la création. Nous n’observons jamais le mouvement exactement uniforme et rectiligne que prendrait un corps en mouvement soustrait à toute action étrangère, non plus que la persistance dans le repos d’un corps qui n’a pas reçu d’impulsion. La dualité de l’inertie et de la force, l’action de forces multiples, la composition de ces forces sont des choses qu’on ne saurait constater.

On peut aller plus loin et dire que l’induction ne peut rendre raison même des caractères les plus généraux des lois mécaniques. En effet, nous n’observons que des moments séparés les uns des autres, c’est-à-dire la discontinuité, et cependant nos lois nous donnent la continuité. En second lieu, ces lois impliquent la précision, tandis que l’expérience ne nous fournit que des à-peu-près. Ensuite, nous posons comme fondamentales des relations définies entre tels ou tels phénomènes, tandis que l’expérience nous donne une infinité de relations entre lesquelles il n’y a ni priorité ni séparation. Enfin, nous attribuons à nos lois la fixité, comme un caractère essentiel. Or, nous ne pouvons pas dire en cela que nous jugeons de l’avenir par le passé, car le passé ne nous est connu que dans une mesure insignifiante. On affirme très sérieusement aujourd’hui que les espèces ne sont pas éternelles, mais ont leur histoire. Pourquoi les lois, ces types des relations entre phénomènes, ne seraient-elles pas elles-mêmes sujettes au changement ? La fixité que nous leur attribuons est un caractère que nous ajoutons aux données de l’expérience et qui ne saurait nous être révélé du dehors.

Toutefois si les lois mécaniques ne sont connues, sous leur forme propre, ni a priori ni a posteriori, il ne s’en-