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DES ETUDES JURIDIQUES ET POLITIQUES.

maîtres français, se rapprochent par la méthode, — laquelle des deux côtés est plus ou moins déductive ; ils diffèrent profondément par leur objet, leur cadre et le caractère de leurs lois. Ce n’est pas précisément la distinction très apparente entre le juste et l’utile qui crée entre eux la contradiction la plus aiguë et la plus persistante. Cette contradiction n’est après tout que relative et peut se résoudre par une vue plus profonde. Le point d’opposition le plus décisif, c’est que l’économie politique étend sa juridiction là seulement où s’applique la loi des grands nombres ; elle ne connaît que des masses ; elle ignore l’individu, siège du droit, objet de la science juridique. Si elle prend souci de lui, c’est à cause de la répercussion de ses satisfactions et de ses mécontentements, de son activité ou de sa langueur sur les phénomènes économiques généraux. De ses actes, noyés dans un total énorme, elle ne recueille qu’une moyenne, où ils apparaissent dépouillés de leur liberté et de leur personnalité. La fatalité gouverne de haut les phénomènes économiques. L’économie politique ne croit être une science qu’à ce prix.

Sur cette matière si nettement caractérisée, les œuvres des jurisconsultes économistes, écho de leurs cours, présentent à première vue la diversité et même les disparates les plus marqués. Destinée prévue d’un enseignement récent, plus ou moins improvisé, et qui a dû chercher sa voie un peu au hasard, en l’absence d’une tradition d’école. Les uns ont simplement suivi la trace de nos maîtres les plus accrédités ; ils sont remarquables en général par la judicieuse ordonnance des parties, par la clarté de l’exposition. Tel autre, plus aventureux, a déployé toutes les qualités d’un polémiste piquant, d’un analyste subtil, d’un dialecticien serré en faisant le procès de certaines propositions reçues ; il a donné entre temps quelques gages discrets au socialisme agraire. Un seul a entrepris d’asseoir sur une base expérimentale une science qui, aux yeux des économistes français actuels, est avant tout d’appareil logique, de construction idéale.

En somme, si l’observation sommaire ne suffit pas pour faire ressortir un caractère commun dans cette riche efflorescence de travaux économico-juridiques, elle nous en apprend assez pour nous empêcher de souscrire à la condamnation prononcée par un maître éminent contre les cours d’économie politique créés dans les Facultés de droit. Il n’est pas exact, ce semble, que cette tentative n’ait abouti qu’à un échec. Elle a surtout profité à la science du droit : c’était le but principal de ses prévoyants auteurs. Mais la science économique n’est pas sans y avoir gagné, au moins par