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la terreur en macédoine

Déjà un projet, d’une témérité à donner le vertige, venait de germer dans son esprit.

Sa tête pend à peu près au niveau de l’étrier droit de Nikol. Et ses bras aux poignets ligotés, tombent plus bas, naturellement, et font contrepoids aux jambes.

Alors, il songe froidement :

« Cet étrier a le fil d’une lame de couteau…

» Il faut que, pendant la traversée de la rivière, je m’en serve pour trancher les liens de mes poignets. »

L’entreprise est folle. Il la tente néanmoins, au risque de s’asphyxier, ou de rouler, tout garrotté, dans l’abîme. Il saisit le moment où l’eau dépasse le poitrail des chevaux. Il reste la tête sous les flots et, dans le remous plein d’écume, Nikol ne voit rien, ne soupçonne rien.

Les mains du prisonnier tâtonnent l’étrier. Il engage les cordes sur le tranchant, et se livre à cette série de mouvements désordonnés qui fait dire à l’Albanais en raillant :

« Va, gigote, souffle et tortille-toi ! »

Il sent bien quelques efforts de pression opérés sur son étrier. Mais, croyant toujours que le prisonnier suffoque et se débat dans l’eau qui le recouvre, il est à cent lieues de soupçonner la vérité :

Joannès réussit au delà de ses espérances. Au moment d’atteindre la seconde futaie de roseaux, ses deux mains sont libres. Il connaît admirablement la rivière, le gué, les trous profonds qui le bordent, l’arête rocheuse formant la ligne du passage. Il sait qu’à droite et à gauche, c’est, par places, l’abîme.

Il relève convulsivement la tête dans le remous, aspire une vaste gorgée d’air, se débat, exagère encore