Page:Bourgogne - Mémoires du Sergent Bourgogne.djvu/355

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

bonnet de peau de renard noir de Russie, et fumant dans une pipe d’écume de mer, montée d’un long tuyau, qu’il tenait gravement de la main droite : le bonnet et la pipe appartenaient au défunt. Il avait vu, en passant dans le corridor, ces objets accrochés dans la chambre du défunt et, par farce, il s’en était emparé. De là, la frayeur des femmes, qui l’avaient pris pour le trépassé venant prendre la part du café funèbre. On pria Picart d’accepter le bonnet et la pipe en considération des larmes qu’il avait versées, le matin, devant la dame de la maison.

La conversation devint de plus en plus animée, car toutes les femmes fumaient comme des hussards, et buvaient de même. Bientôt, il n’y eut plus moyen de s’entendre.

Avant de se séparer elles chantèrent un cantique et dirent une prière pour le repos de l’âme du défunt ; tout cela fut chanté et dit avec beaucoup de recueillement, auquel nous prîmes part par notre silence.

Ensuite elles sortirent, en nous souhaitant le bonsoir ; il neigeait et faisait un vent furieux. Nous prîmes le parti de coucher chez notre vieux camarade : la paille ne manquait pas, la chambre était chaude, c’était tout ce qu’il nous fallait.

Le lendemain matin, une jeune domestique nous apporta du café. Elle était accompagnée de la dame de la maison, qui nous souhaita le bonjour et nous demanda si nous voulions autre chose. Nous la remerciâmes. Ensuite elle se mit à causer avec la domestique : cette dernière lui disait que l’on venait de lui assurer que l’armée russe n’était plus qu’à quatre journées de marche de la ville et qu’un juif, qui arrivait de Tilsitt, avait rencontré des Cosaques auprès d’Eylau. Comme je parlais assez l’allemand pour comprendre une partie de la conversation, j’entendis que la dame disait : « Mon Dieu ! que vont devenir tous ces braves jeunes gens ? » Je témoignai à la bonne Allemande toute ma reconnaissance pour l’intérêt qu’elle prenait à notre sort, en lui disant qu’à présent que nous avions à manger et à boire, nous nous moquions des Russes.

Si les hommes nous étaient hostiles, nous avions partout les femmes pour nous.

Je fis souvenir à Picart que le lendemain, c’était le jour