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poste sur un chemin qui conduisait au château, lorsqu’un domestique polonais, dont le maître était attaché à l’état-major de l’Empereur, passa près de mon poste, conduisant un cheval chargé de bagages. Ce cheval, fatigué, s’abattit et ne voulut plus se relever. Le domestique prit la charge et partit. À peine nous avait-il quittés, que les hommes du poste, qui avaient faim, tuèrent le cheval, de sorte que toute la nuit, nous nous occupâmes à en manger et à en faire cuire pour le lendemain.

Un instant après, l’Empereur vint à passer à pied. Il était accompagné du roi Murat et d’un auditeur au conseil d’État. Ils allaient joindre la grand’route. Je fis prendre les armes à mon poste. L’Empereur s’arrêta devant nous et près du cheval qui barrait le chemin. Il me demanda si c’était nous qui l’avions mangé. Je lui répondis que oui. Il se mit à sourire, en nous disant : « Patience ! Dans quatre jours nous serons à Moscou, où vous aurez du repos et de la bonne nourriture, quoique d’ailleurs le cheval soit bon. »

La prédiction ne manqua pas de s’accomplir, car, quatre jours après, nous arrivions dans cette capitale.

Le lendemain 11 et les jours suivants, nous marchâmes par un beau temps. Le 13, nous couchâmes où il y avait une grande abbaye et d’autres bâtiments d’une construction assez belle. On voyait bien que l’on était près d’une grande capitale.

Le lendemain 14, nous partîmes de grand matin ; nous passâmes près d’un ravin où les Russes avaient commencé des redoutes pour s’y défendre. Un instant après, nous entrâmes dans une grande forêt de sapins et de bouleaux, où se trouve une route très large (route royale). Nous n’étions plus loin de Moscou.

Ce jour-là, j’étais d’avant-garde avec quinze hommes. Après une heure de marche, la colonne impériale fit halte. Dans ce moment, j’aperçus un militaire de la ligne ayant le bras gauche en écharpe. Il était appuyé sur son fusil et semblait attendre quelqu’un. Je le reconnus de suite pour un des enfants de condé dont j’avais reçu la visite près de Witebsk. Il était là, espérant me voir. Je m’approchai de lui en lui demandant comment se portaient les amis : « Très bien, me répondit-il, en frappant la terre de la crosse de son fusil. Ils sont tous morts, comme on dit, au champ