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pelle pas, à aucune époque de ma vie, avoir jamais eu autant envie de dormir, et cependant il fallait suivre. Mes amis me prirent encore sous les bras en me recommandant de dormir, chose que nous fûmes obligés de faire chacun notre tour, car le sommeil s’empara aussi d’eux. Il nous est arrivé plusieurs fois de nous trouver arrêtés et endormis tous les trois. Heureusement que le froid, ce jour-là, avait beaucoup diminué, car le sommeil nous aurait infailliblement conduits à la mort.

Nous arrivâmes, au milieu de la nuit, dans les environs de Borisow. L’Empereur se logea dans un château situé à droite de la route, et toute la Garde bivaqua autour. Le général Roguet, qui nous commandait, s’empara de la serre du château pour y passer la nuit. Mes amis et moi nous nous établîmes derrière. Pendant la nuit, le froid augmenta considérablement. Le lendemain 26, dans la journée, nous allâmes prendre position sur les bords de la Bérézina. L’Empereur était, depuis le matin, à Studianka, petit village situé sur une hauteur et en face.

En arrivant, nous vîmes les braves pontonniers travaillant à la construction des ponts, pour notre passage. Ils avaient passé toute la nuit, travaillant dans l’eau jusqu’aux épaules, au milieu des glaçons, et encouragés par leur général[1]. Ils sacrifiaient leur vie pour sauver l’armée. Un de mes amis m’a assuré avoir vu l’Empereur leur présentant du vin.

À deux heures de l’après-midi, le premier pont fut fait. La construction fut pénible et difficile, car les chevalets s’enfonçaient toujours dans la vase. Aussitôt, le corps du maréchal Oudinot le traversa pour attaquer les Russes qui auraient voulu s’opposer à notre passage. Déjà, avant que le pont fût fini, de la cavalerie du deuxième corps avait passé le fleuve à la nage ; chaque cavalier portait en croupe un fantassin. Le second pont, pour l’artillerie et la cavalerie, fut terminé à quatre heures[2].

Un instant après notre arrivée sur le bord de la Bérézina, je m’étais couché, enveloppé dans ma peau d’ours et, aus-

  1. Le général Éblé.
  2. Ce second pont croula quelque temps après qu’il fût terminé, et au moment où l’artillerie commençait à passer. Il y périt du monde. (Note de l’auteur.)