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Aussitôt, devant la compagnie, le tambour, qui se nommait Patrice, tira de son sac tous les objets, en disant à Picart : « Je le les remets, mon vieux, tels que je les ai reçus de sa main ; c’est lui qui les tira de son sac, que nous remîmes ensuite sous sa tête ; il est mort un instant après. — C’est bien, dit Picart, si j’ai le bonheur de retourner en Picardie, je m’acquitterai des dernières volontés de mon camarade. » On recommença à marcher. Je dis adieu à mon vieux camarade, en lui promettant de le revoir, le soir au bivac.

J’attendis, sur le côté du chemin, que notre régiment passât, car l’on m’avait dit qu’il faisait l’arrière-garde.

Après les grenadiers, suivaient plus de trente mille hommes, ayant presque tous les pieds et les mains gelés, en partie sans armes, car ils n’auraient pu en faire usage. Beaucoup marchaient appuyés sur des bâtons. Généraux, colonels, officiers, soldats, cavaliers, fantassins de toutes les nations qui formaient notre armée, marchaient confondus, couverts de manteaux et de pelisses brûlées et trouées, enveloppés dans des morceaux de drap, des peaux de mouton, enfin tout ce que l’on pouvait se procurer pour se préserver du froid. Ils marchaient sans se plaindre, s’apprêtant encore, comme ils le pouvaient, pour la lutte, si l’ennemi s’opposait à notre passage. L’Empereur, au milieu de nous, nous inspirait de la confiance et trouva encore des ressources pour nous tirer de ce mauvais pas. C’était toujours le grand génie et, tout malheureux que l’on était, partout, avec lui, on était sûr de vaincre.

Cette masse d’hommes laissait, en marchant, toujours après elle, des morts et des mourants. Il me fallut attendre plus d’une heure, avant que cette colonne fût passée. Après, il y eut encore une longue traînée des plus misérables qui suivaient machinalement à de grands intervalles. Ceux-là étaient arrivés au dernier degré de la misère et ne devaient pas même passer la Bérézina dont nous étions si près. J’aperçus, un instant après, le reste de la Jeune Garde, tirailleurs, flanqueurs et quelques voltigeurs qui avaient échappé à Krasnoé, lorsque le régiment, commandé par le colonel Luron, fut, devant nous, écrasé par la mitraille et sabré par les cuirassiers russes. Ces régiments, confondus, marchaient