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s’ouvraient par centaines le long des haies et sur le bord des terrasses. Les villas apparaissaient, blanches ou peintes, derrière leurs rideaux de palmiers et de mimosas, d’aloès et de bambous, de faux-poivriers et d’eucalyptus. Au bord de la coltine, la presqu’île de la Croisette s’allongeait, s’étirait du côté des îles. Les masses sombres de ses pins, tachées de maisons claires, s’enlevaient entre le bleu tendre du ciel et le bleu presque noir de la mer ; et le sire de Corancez allait gaiement, un bouquet de violettes à la boutonnière du plus délicieux veston que jamais tailleur complaisant ait coupé à crédit pour un joli garçon en chasse d’une dot, ses pieds minces bien pris dans ses bottines jaunes, un chapeau de paille sur ses épais cheveux noirs, l’œil humide, la dent blanche sous le demi-sourire, la barbe lustrée, fleurant bon, portant beau. Il était heureux par les portions animales de son être, et d’un bonheur tout physique, tout sensuel. Il savourait cette lumière divine, cette brise de mer qui roulait des arômes de fleurs, cette atmosphère caressante comme au printemps ; il jouissait de sa santé, de sa force, de sa jeunesse, du radieux paysage, tandis que le calculateur, en lui, monologuait sur le caractère de l’ami qu’il allait rejoindre et sur le succès de sa négociation :

— « Acceptera-t-il ? N’acceptera-t-il pas ? … Ce serait oui, sans aucun doute, s’il savait que Mme de Carlsberg sera sur le bateau. Puis-je le lui dire ? … Mais non. Dit par moi, il en prendrait