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côté du protagoniste, elle évoquait un personnage uniquement chargé d’écouter ses confidences. Il y a, en effet, dans la réalité de l’existence quotidienne, des âmes à la suite, des âmes d’écho, si l’on peutdire, toujours prêtes à recevoir les soupirs et les cris émanés d’autres âmes, des âmes-miroirs dont toute la vie réside dans le reflet qu’elles reçoivent, toute la personnalité dans l’image qu’une autre personnalité projette en elles. Dès le couvent, Louise Brion appartenait à cette race dont Shakespeare a incarné les adorables pudeurs, les délicates intelligences, l’exquise pitié, dans son Horatio, cet héroïque et loyal « second » d’Hamlet en son duel avec l’assassin de son père. À seize ans aussi bien qu’à trente, il suffisait de la regarder pour découvrir en elle l’effacement instinctif d’une nature sensible jusqu’à la timidité, incapable de s’imposer, de s’affirmer par une initiative, de vouloir, d’agir, de vivre pour son propre compte. Son visage était fin, mais cette finesse passait inaperçue, tant il y avait de réserve dans ses traits modestes, dans ses yeux d’un gris cendré, dans les masses simplement disposées de ses cheveux châtains. Elle parlait peu et d’une voix sans éclat. Elle avait le génie des parures discrètes, « tranquilles » — ce joli, cet indéfinissable terme du papotage féminin ! — Hommes ou femmes, les êtres où tout est ainsi atténuation instinctive de leur désir, recul devant la réalité, délicatesse un peu pauvre, nuance amortie du sentiment, s’attachent d’ordinaire, par une apparente contradiction qui est au