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salles de roulette. Il dit ces mots, qui firent tressaillir Hautefeuille de la tête aux pieds :

— « Si cela ne te fait rien, nous allons chercher Mme de Carlsberg ? Je l’ai laissée à une de ces tables et je voudrais prendre congé d’elle… Imagine-toi qu’elle déteste que ses amis assistent à son jeu… Mais elle doit déjà avoir perdu tout son argent et s’être levée depuis longtemps… »

— « Est-ce qu’elle joue souvent et beaucoup ? » demanda Hautefeuille, qui maintenant n’avait plus aucune envie de quitter son ancien camarade.

— « Oui, elle joue, et souvent, mais comme elle fait tout, » répondit Corancez, « par caprice et par ennui. Et son mariage l’en justifie trop. Tu connais le prince ? Très peu. Mais tu sais ses habitudes. Est-ce la peine, réponds-moi, d’appartenir à la maison de Habsbourg-Lorraine, de s’appeler l’archiduc Henri-François, d’avoir une femme comme celle-là, pour professer des opinions anarchistes, pour passer seize heures sur vingt-quatre dans un laboratoire de physique à se brûler les mains, la barbe et les yeux aux feux des fourneaux, et pour recevoir les amis de la baronne comme il les reçoit, quand il daigne se montrer… »

— « Alors, » reprit Hautefeuille dont le bras trembla sur le bras de son ami, tandis qu’il posait cette naïve question, « tu penses qu’elle n’est pas heureuse ? »

— « Tu n’as qu’à la regarder, » dit Corancez qui venait, haussé sur la pointe des pieds, de reconnaître Mme de Carlsberg.