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nerveuse qui pressent, qui devine l’événement en marche vers nous, et quand il répondit : « Entrez ! » au visiteur inconnu qui frappait à sa porte, sa voix tremblait. Il savait que ce visiteur, quel qu’il fût, venait de la part d’Ely. C’était simplement un domestique de l’hôtel qui tenait une lettre sans timbre, apportée elle-même par un commissionnaire. On n’attendait pas de réponse. Hautefeuille regarda l’enveloppe sans l’ouvrir. Allait-il lire cette lettre dont il savait aussi qu’elle lui était envoyée par Mme de Carlsberg ? … L’adresse, pourtant, n’était pas de sa main. Pierre cherchait : où donc avait-il vu cette écriture nerveuse, inégale, comme effarouchée ? … Il se rappela soudain le billet anonyme reçu après la soirée de Monte-Carlo. Il l’avait montré depuis à Ely, qui lui avait dit : « C’est de Louise ! … » La lettre qu’il avait là était de Mme Brion. Cette découverte ne lui permettait plus le doute : ouvrir cette enveloppe, c’était rentrer en rapport avec Ely, chercher de ses nouvelles, manquer à la parole donnée, trahir son ami. Pierre sentit tout cela, et, repoussant la lettre tentatrice, il demeura de longues minutes le front dans ses mains. Il faut, du moins, lui rendre cette justice qu’il n’essaya pas de s’excuser à ses propres yeux par des sophismes. Il se dit : « Je ne dois pas lire cette lettre, je ne le dois pas ! … » et puis, à un moment, après avoir fermé la porte au verrou comme un voleur qui médite une louche besogne, les joues pourpres de honte, les mains tremblantes, il déchira brusquement le papier de l’enveloppe.