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cela : c’est le nez, comme pour les chiens à la chasse… Tu sais on tu ne sais pas qu’Andriana ne boit que de l’eau, mon anglomane de beau-frère que du soda et du whisky… « Ma foi, » lui dis-je, une fois à table et lorsqu’on m’offrit du vin, « je ferai comme vous, Alvise… Donnez-moi donc de votre whisky. » — « All right ! » répondit-il. Etre empoisonné en anglais, par un Vénitien, ce n’est pas banal, non plus ! Je crois en le voyant si calme, devant mon refus de boire du vin, m’être trompé… Mais l’éloge d’un certain porto qu’il avait reçu de lord Herbert me donne l’idée que c’était là justement le liquide auquel il fallait ne pas toucher… Il insiste. Je m’en laisse verser un verre ; je le respire. « Quelle « singulière odeur, » lui dis-je tranquillement, « je suis sûr que ce vin a quelque chose… » — « Ce sera une mauvaise bouteille, » fait Navagero : « il faut la jeter. » Sa voix, sa mine, son regard ! … La voix, le regard du maître d’hôtel Italien qui m’avait servi, — son âme damnée ! … J’y étais… Je ne réponds pas. Mais, au moment ou le susdit maître d’hôtel allait enlever mon verre, je pose la main dessus et je lui demande une petite bouteille. « Je veux soumettre ce vin au pharmacien, » dis-je tout naturellement, « On prétend que le porto fait pour les Anglais ne contient pas un atome de raisin. Je suis curieux de le savoir. » L’homme m’apporte la petite bouteille d’une main qui tremblait, tremblait… comme ceci… Moi, avec le plus beau sang-froid, je transvase mon vin. Je bouche le tout. Je