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L’honneur me le défendait, tu le sais bien… »

— « Et l’honneur ne te défendait pas de lui écrire, » reprit Pierre, « quand tu savais que je l’aimais, de lui demander un rendez-vous à mon insu, d’aller chez elle quand je n’y étais pas ! … »

Et regardant Olivier d’un regard où brillait l’éclair d’une véritable haine : « Mais j’y vois clair maintenant. Vous vous êtes joués de moi tous les deux… Tu as voulu te servir de ce que tu avais découvert pour rentrer dans sa vie. Ah ! Judas, tu m’as trahi, toi aussi… Ah ! traître ! traître ! traître ! »

Et, poussant un cri déchirant, il s’affaissa sur le fauteuil et il éclata en sanglots parmi lesquels ilrépétait : « L’amitié, l’amour, l’amour, l’amitié, tout est mort, j’ai tout perdu, tout m’a trompé, tout m’a menti… Ah ! que je suis malheureux ! … »

Sous cette furieuse apostrophe, Du Prat avait reculé en pâlissant. La douleur que lui infligeait l’insulte de son ami était bien profonde, mais aucune colère, aucun amour-propre ne s’y mélangeait. Cette affreuse injustice d’un être si naturellement bon, si délicat, si tendre, ne faisait qu’augmenter sa pitié. En même temps, le sentiment de ce qu’il y avait d’irrémédiable pour leur mutuelle affection, si l’entretien finissait ainsi, lui rendait un peu de ce sang-froid que l’autre avait entièrement perdu ; et ce fut d’une voix, grave dans l’émotion, qu’il lui répondit :

— « Oui, faut-il que tu sois malheureux, mon Pierre, pour m’avoir parlé ainsi, à moi, à ton compagnon de toujours, à ton ami, à ton frère ! …