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les uns et pour prévoir les autres. Mais le propre de la passion est de s’absorber dans son objet tout entière. Elle oublie que d’autres passions existent en dehors d’elle, aussi fougueuses qu’elle, aussi déchaînées, et qu’il lui faudra s’y heurter. C’est le train qui file à pleine vapeur sur ses rails et à qui aucun signal n’annonce l’approche d’un autre train lancé sur la même ligne, en sens contraire. Enveloppé, emporté, durant cette mortelle semaine, dans un tourbillon de souffrance, Olivier n’avait pas pris garde qu’auprès de lui un être vivait, s’înquiétait, souffrait aussi. L’idée fixe a de ces égoïsmes et de ces imprévoyances : il n’avait pas observé le travail d’esprit qui s’accomplissait dans sa femme, ni deviné cette possibilité si naturelle qu’exaspérée par le soupçon Berthe s’adressât à l’ami, au confident de son mari pour implorer une aide, — à Hautefeuille lui-même ! Elle venait de le faire, et cet entretien avait eu cet immédiat résultat, trop aisé à prévoir, lui aussi : la jalousie de la jeune femme avait d’un coup déchiré le bandeau qui couvrait les yeux de l’ami aveuglé. En un moment, Pierre avait tout appris.

Cette tragédie — un pareil entretien en était une, et grosse de quel terrible dénouement ! — avait été provoquée par une dernière et folle imprudence d’Olivier. À la veille de son entrevue avec Mme de Carlsberg, il avait donné des signes d’une agitation encore plus enfiévrée que de