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brusquement qu’il avait commencé. Je vis qu’il allait fondre en larmes, et avant que j’eusse pu rien lui demander, il m’avait dit adieu et il était sorti de la chambre… »

Il y a dans le jeu naturel et logique de certaines situations une nécessité de conflit tellement inéluctable que ceux mêmes qui doivent s’y briser admettent ce conflit, quand il arrive, sans essayer de l’écarter. C’est ainsi que dans la vie publique, les peuples acceptent la guerre, et, dans la vie privée, des rivaux le duel, avec une passivité fataliste qui dément parfois leur caractère tout entier. Ils se reconnaissent pris dans l’orbite d’une puissance plus forte que la volonté humaine. Quand Pierre Hautefeuille l’eut quittée, cette nuit-là, Ely de Carlsberg éprouva cruellement cette impression du combat inévitable, et d’un combat, non pas contre un homme seulement, mais contre une destinée. Tant que son amant fut auprès d’elle, ses nerfs tendus lui permirent de se dominer. Lui parti, elle s’abandonna. Et, seule, sans avoir la force de regagner son lit, affaissée, écroulée sur un fauteuil, elle commença de pleurer longuement, indéfiniment, comme un pauvre être qu’elle se sentait, si traqué, si menacé, si vaincu d’avance ! Son dernier motif d’espérer venait de s’évanouir. Après la scène que lui avait rapportée Pierre, elle ne pouvait plus douter qu’Olivier ne sût tout. Oui, il savait tout ; et ses nervosités, ses colères, son rire, son désespoir le prouvaient trop,