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regard ces trop indiscutables signes. Ils lui faisaient mal à constater, presque physiquement, et à l’idée que les caresses dont Pierre était tout enivré encore et tout lassé pouvaient lui avoir été données par Ely, une pointe si aiguë de douleur lui fouillait la poitrine qu’il en aurait crié. Avec l’instinct passionné d’une amitié qui s’inquiète, d’une jalousie qui s’éveille, d’une nostalgie qui se souvient, d’une curiosité qui s’enfièvre, il continuait son implacable et silencieuse enquête : oui, Pierre avait une maîtresse, et cette maîtresse était une femme du monde, et une femme qui n’était pas libre. La preuve en était dans l’heure des rendez-vous, dans les précautions prises, et surtout dans cette espèce d’orgueil de son cher secret que l’amant avait au fond des yeux. Pour entrer chez elle il fallait traverser une haie de jardin : en revenant, Pierre avait jeté sur la commode le chapeau de feutre mou qu’il portait pour son expédition, et des brindilles de branches d’arbustes étaient restées sur le rebord, en même temps qu’une petite traînée verte sur le revers attestait le frôlement des feuillages écartés avec la tête en se penchant. Auprès de ce chapeau, le jeune homme avait déposé son revolver, emporté pour cette expédition nocturne, et ses bijoux. À côté de sa montre, de ses clefs, de son porte-monnaie, se trouvait la bague qu’Olivier avait remarquée la veille : deux serpents enlacés à têtes d’émeraudes. Il se leva, sous le prétexte d’aller et de venir dans la chambre ; en réalité