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jamais… D’ailleurs tu ne savais pas, tu ne pouvais pas savoir après quelles expériences j’en arrivais là. Nous nous sommes toujours respectés l’un l’autre dans nos confidences, mon Pierre, et c’est pour cela que notre amitié demeure cette chose belle et rare, bien différente de l’ignoble compagnonnage que la plupart des hommes désignent de ce nom. Je ne t’ai jamais parlé d’aucune de mes maîtresses. Je n’ai jamais cherché à savoir les tiennes. Ces saletés-là sont demeurées, grâce à Dieu, absolument en dehors de notre affection… »

— « Arrête-toi, » dit vivement Hautefeuille, « ne flétris pas ainsi tes souvenirs. Je ne les connais pas, mais il doit y en avoir qui te sont sacrés. Si je ne t’ai jamais interrogé sur les secrets de ta vie sentimentale, sache-le bien, Olivier, c’est par respect pour elle et non pour notre amitié… Non, cette amitié n’eût pas souffert de s’associer à de belles, à de profondes amours. Ne te calomnie pas toi-même, ne me dis pas que tu n’en as pas eu de pareilles, et ne les blasphème pas… »

— « De belles amours ! » reprit Olivier avec une ironie singulière. « Ce que veulent dire ces deux mots-là, mis ensemble, je ne le sais pas. J’ai eu des maîtresses, plus d’une maîtresse, et quand j’y songe, toutes me représentent de grands désirs suivis de plus grands dégoûts, des possessions empoisonnées par d’affreuses rancœurs, d’âcres sensualités saturées de jalousies, beaucoup de mensonges entendus, beaucoup de mensonges prononcés, et pas une émotion, pas