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espèce de langueur sans nom, un maladif désir de mourir. L’idée m’avait pris là, subitement, que je n’aurais jamais rien de meilleur dans la vie, que je n’avais rien à en attendre. D’où me venait une pensée si étrangère aux seize ans que j’avais alors ? Était-ce la comparaison entre votre intérieur de gâteries et la froide maison qui m’attendait ? Était-ce la tristesse de te quitter ? Encore aujourd’hui, je ne peux pas l’expliquer. Mais je n’oublierai jamais le malaise poignant dont je fus étreint sous ce grand arbre, par cette claire et tiède après-midi, auprès de toi. C’était comme si j’avais senti par avance toutes les misères, toutes les vanités, tous les avortements de ma destinée… »

— « Tu n’as pas le droit de parler ainsi, » interrompit Hautefèuille. « Quelles misères ? Quelles vanités ? Quels avortements ? … Tu as trente-deux ans. Tu es jeune. Tu te portes bien. Tout t’a réussi : fortune, carrière, mariage. Tu as soixante mille francs de rente. Tu vas être premier secrétaire. Tu as une femme charmante, et un ami du Monomotapa, » ajouta-t-il en riant. Le profond soupir d’Olivier lui avait fait mal, il avait senti sa mélancolie trop sincère dans cette effusion qui eût semblé à d’autres singulièrement exagérée. Et il y opposait, comme souvent jadis, une raillerie un peu terre à terre. Il était rare que Du Prat, esprit très critique, très délicat, très sensible à la moindre faute de goût, ne changeât pas de ton aussitôt, quand son ami le brusquait de la sorte. Cette fois, il avait sans doute un poids trop lourd sur