Page:Bourget - Une idylle tragique, Plon-Nourrit.djvu/251

Cette page n’a pas encore été corrigée


— « Que c’est gentil d’être venu au-devant de moi ! » et tout bas : « Tâche donc de me débarrasser de mon beau-frère une minute. »

— « Je ne peux pas, » fit Hautefeuille ; « j’attends Olivier Du Prat. Tu ne l’as donc pas vu dans le train ? … Ah ! je l’aperçois… »

Et, quittant le Provençal sans plus prendre garde à cette nouvelle scène de matrimonio segreto jouée cette fois sur un quai de gare, il se précipita vers un jeune homme qui le regardait, debout sur le marchepied d’un wagon, et qui lui souriait avec joie et attendrissement. Quoique Olivier Du Prat fût du même âge que Pierre, il paraissait plus vieux de quelques années, tant son visage très brun, très maigre et très creusé se modelait en méplats vigoureusement marqués. Il avait des traits irréguliers dont l’ensemble tourmenté ne permettait guère qu’on les oubliât. Ses yeux noirs, d’un noir humide et velouté, l’éclat de ses dents, blanches et régulières, ses cheveux drus et bien plantés donnaient à sa physionomie une grâce animale, si l’on peut dire, qui corrigeait ce que l’expression de sa bouche, de son front et surtout de ses joues avait d’amer. Sans qu’il fût grand, ses épaules et ses bras révélaient la force. Lui aussi, à peine descendu de wagon, embrassa Hautefeuille d’une étreinte qui lui mit presque des larmes au bord des paupières, et tous deux demeurèrent quelques secondes à se contempler, oubliant, l’un et l’autre, d’offrir la main à une jeune femme qui, debout à son tour sur le marchepied