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de la vieille Italie. L’un était l’abbé Lagumina, tout grêle, tout petit, avec de pauvres jambes d’une maigreur de squelette, prises dans des culottes et des bas qui flottaient autour. Son torse de demi-bossu se drapait dans une longue redingote ecclésiastique. Il frottait ses mains l’une contre l’autre, indéfiniment, par timidité, en saluant de la tête, et sa physionomie était si fine, si pétrie d’intelligence, que l’on oubliait la laideur du nez démesuré et de la bouche édentée pour ne plus voir que cette expression. L’autre était le prince Paul Fregoso, le plus célèbre descendant de cette illustre lignée dont les hauts faits sont inscrits au livre d’or des guerres étrangères et au livre d’airain, hélas ! des guerres civiles de Gênes. Le prince devait ce nom de Paul, héréditaire dans sa famille, au souvenir légendaire du célèbre cardinal Fregoso qui, chassé de la ville, tint longtemps la mer comme pirate. Le dernier petit-neveu de cet étrange héros était un géant aux larges traits, aux beaux yeux noirs brûlants, mais dont les pieds et les mains étaient déformés par la goutte. Presque plié en deux sur une canne à bout de caoutchouc, sordidement vêtu d’une jaquette délabrée, le prince Paul révélait par sa haute mine le descendant des doges. Il parlait de cette voix profonde, ample, caverneuse, où se reconnaît la vigueur dans un âge très avancé. Il avait soixante-quatorze ans.

— « Mesdames, » disait-il, « vous voudrez bien m’excuser de n’avoir pu descendre ce diabolique