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la Monte-Cristo. Aussi la baronne ne douta pas de sa sincérité. Elle était si profondément romanesque elle-même qu’elle ne s’en étonna pas non plus. L’idée de voir ce joli et charmant visage, le frère de celui qu’il avait tant aimé, souillé d’immonde luxure par un Brion ou par quelque autre entreteneur de mondaines ruinées, faisait horreur au père inconsolable. Pour empêcher ce sacrilège, il employait, en véritable Yankee, le moyen le plus direct et le plus pratique. Ely n’admira pas davantage cette contradiction de conscience chez ce bizarre et audacieux Marsh : le spéculateur, en lui, trouvait toute naturelle la scélératesse de Brion dans les affaires d’argent, et l’Anglo-Saxon se révoltait contre la seule pensée d’un adultère. Non, ce ne fut pas l’étonnement qui saisit Mme de Carlsberg devant cette inattendue confidence. Si troublée, si nerveuse déjà, elle éprouva comme un frisson nouveau de tristesse. Tandis qu’elle et Marsh allaient et venaient d’une extrémité à l’autre du yacht, en causant de la sorte, elle entendait Yvonne de Chésy rire gaiement avec Hautefeuille. Pour cette enfant aussi, la journée avait été délicieuse. Pourtant son malheur était en route vers elle, du fond de cet insondable gouffre où se prépare notre destinée. Cette impression fut si intense qu’irrésistiblement, Marsh à peine quitté, Ely se dirigea tout droit vers la jeune femme, et elle l’embrassa avec une tendresse qui fit dire à celle-ci, toujours rieuse :

— « Ça, c’est gentil… Mais vous êtes si bonne