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d’argent, où roulait, où tanguait une barque à voiles et à rames montée par des jeunes gens qui s’étaient amusés à se mettre dans le sillage. L’immobilité du plancher, à bord de la Jenny, dans cette course folle, tenait du fantastique. On voyait à peine trembler l’eau dans les vases en verre de Venise placés sur une table volante, pas très loin du groupe des trois femmes. Des roses s’y effeuillaient lentement, de larges roses couleur de pourpre et de safran. Mme de Carlsberg se tenait assise auprès de ces fleurs et dans leur arôme. Elle avait déganté une de ses belles mains et se caressait les doigts aux corolles épanouies des belles fleurs. Elle regardait, d’un regard amusé à la fois et rêveur, la Dalila tour à tour et le clair horizon, ses compagnons de voyage et la vaste mer, puis Hautefeuille, debout auprès des Chésy, et qui sans cesse se retournait de son côté. La brise soulevée par le déplacement dessinait le svelte corps du jeune homme sous la veste de serge bleu marine et le pantalon de flanelle blanche. Cette même brise agitait doucement la souple étoffe de la blouse rouge ou était pris le buste de la baronne Ely, et les larges bouts de sa cravate en mousseline de soie noire assortis aux grands carrés noirs et blancs de sa jupe. Tous deux, le jeune homme et la jeune femme, avaient dans les profondeurs de leurs prunelles une fièvre enivrée de vivre qui s’harmonisait avec le rayonnement de cette admirable après-midi. Comme son sourire, à lui, ce tendre et facile sourire d’un amoureux qui