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en ce moment suspendue. Qu’importait à Dickie Marsh, pour qui le beau temps de cette glorieuse après-midi n’était qu’une des données de son jeu, d’une partie à perdre ou à gagner ? … Pas un mouton d’écume ne tachait cette vaste étendue de saphir en fusion sur laquelle la Jenny avançait dans un bruissement sonore et frais d’eau déchirée. Pas un cirrus, pas une de ces effilochures de nuages que les marins appellent des queues de chat, ne rayait la coupole radieuse du ciel, où le soleil semblait s’épanouir, se dilater, se réjouir, dans un éther absolument pur. II semblait qu’il y eût comme une conjuration de ce ciel, de cette mer, de ce rivage pour réaliser le pronostic du chiromancien Corancez sur la traversée du bateau qui lui amenait sa fiancée clandestine ; et Andriana Bonaccorsi rappelait à Flossie Marsh cette prédiction, tandis que toutes deux accoudées au bastingage et vêtues de costumes identiques, en flanelle blanche, à petites raies rouges et noires, — les couleurs du pavillon de la Jenny, — elles causaient, les yeux fixés sur la Dalila, toujours plus proche et plus proche :

— « Tu te souviens de la salle de Monte-Carlo ? » disait-elle. « Et comme il a deviné ce temps-ci d’après sa main et les nôtres, exactement celui-ci ! … N’est-ce pas extraordinaire tout de même ? … »

— « Tu avoues donc que tu avais tort d’avoir peur… » répondait miss Marsh. « S’il a vu juste pour une chose, il doit avoir vu juste pour le