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préparait-il, lui, le prince démocrate, à lui faire sentir que ces manières bohémiennes ne convenaient pas à leur rang ? Était-il froissé — une si puérile contradiction ne l’eût pas étonnée non plus — qu’elle fut demeurée à Monte-Carlo toute la semaine sans donner signe de vie, n’était la dépêche du retour au maître d’hôtel ? Que lui importait, d’ailleurs, le motif d’une colère qu’elle méprisait ? Le chagrin de sa résolution était trop profond. Elle en avait le cœur trop rempli pour ne pas opposer à ce nouvel ennui l’espèce d’anesthésie intérieure qui suit les agonies morales. Aussi ne répliqua-t-elle pas un mot, durant le dîner, aux sorties amères de l’archiduc, qui, s’adressant à Mme Brion, outragea tour à tour d’une manière atroce Monte-Carlo et les femmes du monde, les Français de la côte et la colonie étrangère, les gens riches enfin, et toute la société. La livrée allait et venait à pas silencieux autour de la table. Les culottes courtes, les bas de soie, les perruques poudrées des valets donnaient aux paroles du maître de cette maison princière une inexprimable ironie de contraste. L’aide de camp, avec un mélange patelin de politesse et de perfidie, répondait aux boutades de l’archiduc exactement les mots qui pouvaient l’exaspérer, et Mme Brion, de plus en plus rouge, subissait l’assaut de ces insolents sarcasmes, avec l’idée qu’elle se dévouait pour Ely, et cette dernière, indifférente, daignait à peine prêter l’oreille à des tirades du goût de celle-ci :

— « Ses plaisirs, voilà ce qui juge un monde,