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de sa mère, une belle et forte Normande associée à la fortune du premier baron Desforges, le préfet du grand empereur : « De la jugeotte ! … » — « Et pourquoi serais-je jaloux ? En quoi Suzanne m’a-t-elle trompé ? Est-ce que j’attendais d’elle un amour comme cela qu’a dû rêver ce benêt de poète ? À cinquante ans passés, que lui demandais-je ? D’être aimable ? Elle l’a été. De me faire un intérieur à côté du mien, de quoi tuer mes soirées ? Elle me l’a fait. Hé bien ! alors ? … Elle a rencontré un garçon jeune, robuste, qui ne se ménage pas, avec une peau fraîche et qui sent bon, une jolie bouche. Elle se l’est payé. Elle ne pouvait cependant pas me demander de le lui offrir… Mais de nous deux, le cocu, c’est lui ! … » Il était devant la porte de son cercle quand il se formula cette conclusion à la gauloise. La brutalité du mot qui lui était venu à l’esprit le soulagea une seconde. « C’est égal, » pensa-t-il, « que dirait Crucé ? » L’adroit collectionneur lui avait autrefois vendu un faux tableau à un prix exorbitant, et Desforges nourrissait à son égard, depuis lors, cette espèce d’estime rancunière que les hommes très fins gardent à ceux qui les ont joliment dupés. Il se représenta le petit salon du club, et le futé personnage racontant l’aventure de Suzanne et de René aux deux ou trois collègues choisis parmi les plus envieux. Cette idée fut odieuse