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sur son visage, marquât le moindre étonnement : « Ma bonne amie, » fit-il, « Monsieur Vincy… »

— « Mais je n’ai pas oublié Monsieur, » répondit Suzanne en saluant le visiteur d’une gracieuse inclinaison de la tête, « bien qu’il paraisse, lui, m’avoir oubliée… »

La parfaite aisance avec laquelle cette phrase fut prononcée, le sourire qui la souligna, l’obligation honteuse de serrer la main à ce mari qu’il considérait comme un souteneur légal, et de saluer le baron Desforges en même temps que les autres personnes présentes dans la loge, tous ces petits détails contrastaient trop fortement avec la fièvre intérieure du jeune homme pour qu’il n’en demeurât pas, quelques minutes, comme déconcerté. La vie mondaine est ainsi. Des scènes tragiques s’y produisent, mais sans éclat et parmi les fausses amabilités des conversations, les habituels compromis des manières et le futil décor du plaisir, Moraines avait offert un siège à René derrière Suzanne, et celle-ci le questionnait sur ses goûts musicaux, avec autant d’apparente indifférence que si cette visite n’eût pas eu pour elle une signification redoutable. Desforges et Moraines causaient avec l’autre, dame. René les entendait faire des remarques sur la composition de la salle. Il n’était pas habitué, lui, à cette maîtrise de soi qui permet aux