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par ces deux accusations formelles, précises, irréfutables ? Il ne se sentit pas l’énergie de le faire, et il se tira d’embarras en répétant sa réponse de tout à l’heure. Suzanne le regarda, et ce fut lui qui détourna les yeux. Elle soupira seulement : « Pauvre René ! » Et comme l’instant de se séparer approchait, elle ne poussa pas son enquête.

— « Il me dira tout la prochaine fois, » songeait-elle en s’en allant. Malgré qu’elle en eût, ce silence la tourmentait. Elle aimait le jeune homme d’un amour réel, quoique bien différent de celui qu’elle manifestait en paroles. Elle adorait en lui, par-dessus tout, l’amant physique ; mais, si corrompue fût-elle par sa vie et par son milieu, ou peut-être à cause de cette corruption même, la noblesse d’âme du poète ne la laissait pas indifférente. Elle y trouvait cette sorte de ragoût singulier que les débauchés de l’ancienne école éprouvaient à séduire des dévotes. D’ailleurs, même les délices sensuelles de cet amour ne cesseraient-elles pas, du jour où serait brisé le cercle d’illusions qu’elle avait tracé autour de lui ? Et quelqu’un avait essayé de le briser, ce cercle magique. Ce quelqu’un ne pouvait être que Colette. Tout semblait le prouver. Mais d’autre part, quelle raison l’actrice pouvait-elle avoir de la poursuivre de sa haine, elle,