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À L'ACADÉMIE FRANÇAISE

Mémoires d’un Suicidé et des Forces perdues, était d’abord un romantique de la lignée de Chateaubriand, de Byron, de Musset ; un mélancolique et un tourmenté qui devait, plus tard, dire de lui-même et de ces deux romans de jeunesse : « Tristes livres ! Le plus singulier et le moins agréable pour moi, c’est que j’ai horriblement souffert de cet état d’âme. En somme, lorsque je me retourne en arrière pour me juger impartialement, je m’aperçois que je n’ai retrouvé mon équilibre que vers la quarantième année. Les aspirations vagues, les tristesses sans causes, les émotions sans objet, tout cela frisait de près l’hypocondrie. Et si l’on venait me démontrer aujourd’hui que j’ai été un peu fou, je ne serais ni indigné, ni étonné… » Vous reconnaissez, Messieurs, la définition même de ce que l’on appela longtemps : la maladie du siècle. Vous retrouvez aussi, dans ces quelques lignes, l’orgueil et la bonne humeur de la guérison. M. Maxime Du Camp fut en effet un enfant du siècle, mais guéri. Cette évolution de la maladie vers la santé, de la révolte morbide vers l’acceptation, du désarroi intime vers l’équilibre, fait l’unité secrète de son œuvre et de sa vie. C’est à cette évolution que je voudrais vous faire assister. Les inquiétudes de sentiment dont M. Maxime Du Camp a souffert, les révoltes, les défaillances de volonté qu’il confesse avoir traversées, ce sont des misères non pas d’hier, mais d’aujourd’hui. Nous leur avons donné d’autres noms. C’est le pessimisme, c’est le nihilisme, et c’est bien toujours la même maladie, cette incapacité d’accepter la vie que votre confrère a su constater et corriger en lui. Je lui aurai, je crois, rendu