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DISCOURS DE RÉCEPTION

et poèmes intimes, romans d’imagination et romans d’analyse, morceaux de critique, monographies d’art, esquisses d’histoire, à combien de tentatives son vigoureux talent ne s’est-il pas essayé avant de s’arrêter à ce tableau de Paris, qui demeure son plus beau titre de gloire ? Et cette œuvre si considérable, si opulente, si variée, n’avait pas épuisé, n’avait pas exprimé sa vie. Nous devinons, à travers ces volumes de matière si disparate, la poussée, en mille directions diverses, d’une humeur inquiète, qui s’est cherché une forme de pensée à travers combien de formes d’existence ? Orphelin et riche, sans devoirs de famille à remplir, sans contrainte de métier à supporter, il semble que depuis sa sortie de collège, en 1840, sa jeunesse n’ait été qu’une longue aventure. Nous le voyons, dans les confidences, pourtant réservées, de ses Souvenirs, tour à tour homme à la mode et duelliste, voyageur érudit et intrépide explorateur, soldat de l’ordre et blessé sur une barricade en Juin 1848, ambitieux d’influence et directeur d’une importante Revue, officier d’état-major à la suite de Garibaldi, multiplier les expériences les plus inattendues, les plus contrastées, et je ne parle pas des mystérieuses tragédies sentimentales qu’il indique à peine, assez cependant pour justifier le mot d’Alexandre Dumas, son compagnon dans l’équipée des Deux-Siciles :

— « Je ne le vois jamais sans songer à l’un de mes mousquetaires… »

Seulement les mousquetaires du génial conteur étaient des créatures allègres, de jovialité héroïque, de gaieté insouciante ; au lieu que M. Maxime Du Camp, l’auteur des