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À L’ACADÉMIE FRANÇAISE

de les améliorer l’une et l’autre, l’une par l’autre. Cette virile philosophie, dont les Souvenirs portent partout la trace, s’ennoblit, s’illumine d’une religion, celle des Lettres qu’il appelait les Consolantes Déesses. C’est à elles que sont consacrées ces dernières pages auxquelles je faisais allusion, et qui sont le testament de sa vieillesse apaisée, comme les Forces perdues avaient été celui de sa jeunesse révoltée. Elles se trouvent dans le volume du Crépuscule, publié un mois avant sa mort. Avec quelle éloquence il y célèbre le rôle de l’écrivain, ce manieur de l’outil sacré, et la place qu’il tient dans la civilisation : « Si à la même heure, » dit-il, « tous les encriers se desséchaient, si toutes les plumes qui écrivent étaient brisées, le monde, semblable à un navire sans pilote, sans gouvernail, sans boussole, irait à l’aventure vers quelque épouvantable naufrage ! » — Avec quel orgueil, pensant au vaste effort littéraire qui depuis l’année terrible s’accomplit dans notre France, il proclame que « la victoire définitive, celle qui malgré les défaites et les défaillances matérielles ne redoute pas l’histoire et se gagne devant la postérité, appartient toujours au peuple qui a fait des livres, et par ces livres conquis l’humanité ! » Avec quelle reconnaissance émue il rend des actions de grâces à son métier, « mon humble métier de plumitif, » répète-t-il, « auquel je dois les meilleurs jours de ma vie et le calme de ma vieillesse ! » Avec quelle fierté de bon ouvrier, se supposant appelé à l’épreuve de la métempsycose, il souhaite de renaître pour reprendre la plume : « Oui, si le génie qui préside à la transmigration des âmes et à la