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DISCOURS DE RÉCEPTION

sement de notre vieille société, et celui-là du moins serait pacifique.

Je prononçais tout à l’heure, Messieurs, le beau mot de probité intellectuelle à propos de cet immense labeur où se consumèrent les trente dernières années de la vie de M. Maxime Du Camp. La conscience de cette probité, l’orgueil légitime du travail utile donnent une lumière de sérénité aux dernières pages tracées par la plume qui avait autrefois écrit les Mémoires d’un Suicidé et les Forces perdues. Ayant commencé par considérer la vie, en véritable enfant du siècle, comme une simple matière à émotions, haïssable quand elle n’est pas conforme à nos désirs, il était arrivé à reconnaître que tout son prix est dans le travail, dans la soumission au sort, dans l’accomplissement d’une tâche bienfaisante. C’est le « Cultive ton jardin » de Candide, auquel il eût seulement ajouté, lui, l’apôtre de toutes les charités : « Et cueilles-en les fleurs pour les autres. » Ayant commencé par considérer l’art d’écrire comme la recherche d’une sensation suprême, comme un dilettantisme plus raffiné, comme une parure plus brillante, il était arrivé à reconnaître que la première vertu de cet art est le service à rendre. Afin d’être bien sûr qu’il rendrait ce service, il avait su comprendre et accepter la limite de ses facultés. « Se conformer, » disent les Espagnols ; « s’améliorer, » disait Gœthe. Ces deux fortes paroles qu’il cite quelque part, et qui se complètent, étaient devenues sa devise. Il s’était conformé à sa nature et à son époque, et il avait essayé