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À L’ACADÉMIE FRANÇAISE

cent quatre-vingt-dix étaient des provinciaux ou des étrangers. M. Maxime Du Camp a résumé d’un mot saisissant l’anomalie nationale que de pareils chiffres représentent : — « L’Angleterre, » a-t-il dit, « va aux Indes, l’Allemagne va en Amérique. La France émigre à Paris. » Ainsi s’expliquent, lorsque cet afflux d’éléments adventices est devenu trop fort, ces perturbations auxquelles le vrai Parisien assiste souvent avec désespoir, car c’est la ruine momentanée ; contre lesquelles il ne lutte point, par manque d’initiative ; dont il répare les misères à force de travail, et qu’il finit par considérer un peu comme les gens de la banlieue de Naples considèrent le Vésuve. C’est une cendre qui brûle et qui bouge. Ils y bâtissent tout de même leur maison, et, surtout, ils y plantent leur vigne. Cet héroïsme gai dont un autre symbole est l’antique vaisseau du blason de la ville, battu des flots et qui ne sombre pas, Maxime Du Camp l’a merveilleusement senti et rendu. Il n’eût pas été le grand écrivain civique qu’il voulait être, s’il n’avait indiqué le remède, le même que Balzac, que Le Play, que Taine, ont proclamé tous les trois dans des termes presque identiques : la nécessité d’un renouveau de vie provinciale qui, bien loin de nuire à cette ville incomparable, la dégorgerait de cette alluvion, et lui permettrait d’épanouir plus librement son opulente et complexe personnalité. C’est ainsi que l’amoureux de Paris et son historien se trouve avoir sa place marquée dans ce grand mouvement décentralisateur qui, après s’être dessiné dans les idées, commence à se dessiner dans les faits. L’issue peut en être un total rajeunis-