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DISCOURS DE RÉCEPTION

tuitions lumineuses, d’ardeurs magnanimes. Avec cela le Parisien est de tous les animaux politiques le plus complètement dépourvu d’initiative. La cause en est aisée à comprendre. Le génie administratif de la race latine se trouve avoir atteint ici à son point de perfection. Le réseau du fonctionnarisme enveloppe Paris de mailles si étroites, si serrées, que la spontanéité individuelle s’y abolit totalement. Parler du Gouvernement avec éloquence, en persifler les représentants avec la plus perçante ironie, en critiquer les actes avec une lucidité supérieure, le Parisien y excelle. Mais agir par lui-même, s’associer, entreprendre, tenir tête au despotisme de l’État sur le terrain du droit privé, à la manière des Anglo-Saxons, ne lui demandez pas cela. Nul n’a marqué ce défaut d’un trait plus net que Maxime Du Camp, nul n’en a plus fortement montré les funestes conséquences. Il a établi par des chiffres indiscutables que ce Parisien si mal outillé pour l’initiative politique est envahi, environné, noyé, par une énorme immigration venue du dehors, si bien que la conscience de la grande ville en est sans cesse faussée. Déjà Napoléon reconnaissait ce fait singulier, et des statistiques, dressées par ses ordres, révélaient que dans la population criminelle de Paris, vers 1810, le vrai Parisien comptait pour une proportion de un sur trois. Pendant les journées de Juin 48, la proportion s’abaisse encore. On ne trouvait que cinq Parisiens sur cent insurgés. Sur trente-six mille trois cent quatre-vingt-dix-neuf individus qui passèrent devant les Conseils de guerre après la Commune, vingt-sept mille trois