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À L’ACADÉMIE FRANÇAISE

Du Camp, qui a dépensé tant d’années à voir le Parisien aller et venir dans sa ville, vous les fait toucher au doigt. Le Parisien passe pour sceptique, et de quoi ne s’est-il pas moqué à ses heures, du Gouvernement et de l’Église, des Dieux de l’Olympe et de la mort, — comme ce soldat de Montmartre qui, pendant le choléra, au Mexique, avait écrit sur le mur d’un cimetière : « Jardin d’Acclimatation » ? Et voici que tout d’un coup, des sources de naïveté, d’enthousiasme, voire de badauderie, surgissent dans cet incorrigible railleur, dont les engouements, pour ne durer que quelques semaines, que quelques jours, pour s’appliquer à une actrice en vogue ou à un cheval noir, n’en sont que plus effrénés. Il passe pour immoral, pour égoïste, et, si vous vous adressez à sa charité, elle est inépuisable, — pour prodigue, et le trésor de sa petite épargne va augmentant sans cesse, malgré les folies de placement où l’entraînera le premier lanceur venu d’emprunts fantastiques ou de mines vides. — Il passe pour égalitaire, et il court risquer sa vie au bout du monde avec l’espoir d’un petit morceau de ruban rouge, — pour spirituel, et pas de saison où il ne se délecte à quelque refrain inepte de café-concert, — pour ingouvernable, et il subit, sans révolte, les pires tracasseries et paperasseries des bureaux. Tout s’explique de ces contradictions, par l’abus constant et héréditaire de la vie nerveuse qui fait la force et la faiblesse, la grâce séduisante et redoutable de cette ville, la plus féminine de toutes, la plus conduite par ses impressions, mais aussi la plus capable d’élans désintéressés, d’in-