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À L’ACADÉMIE FRANÇAISE

séries d’études resteront un indispensable document. Toutes les trois sont rédigées sous la forme la plus modeste, celle de la monographie. L’auteur l’a choisie afin d’être plus exact. Il ne se soucie plus ni des virtuosités du style, ni des virtuosités des théories. Il a pris désormais devant les choses cette attitude qu’un de vos grands confrères du xviie siècle a définie fortement : « Ne se servir de la parole que pour la pensée, de la pensée que pour la vérité. » Il met autant de soin à effacer, à écarter sa personne, que le romantique chez lui put mettre autrefois de complaisance à se montrer, à s’étaler. À peine si une touche, donnée en passant, de temps à autre, vous rappelle que ce modeste, que ce consciencieux assembleur de faits et de chiffres fut un hardi voyageur, et qu’ayant étudié beaucoup d’autres pays il est plus capable de comprendre le sien. Ainsi voulant nous faire apprécier les commodités rapides, auxquelles nous ne pensons guère, de notre système postal, il évoque le passage vertigineux d’un grand express, puis, par contraste, il dessine en quelques lignes exquises la silhouette d’un vieillard qu’il vit un jour courir sur le rivage du Nil : « D’une main il agitait une clochette, de l’autre il soutenait sur son épaule un bâton de palmier au bout duquel pendait un petit sac en peau de gazelle. À son approche, chacun se rangeait avec empressement et le saluait au nom du Dieu clément et miséricordieux. Poussé par la curiosité, je l’interrogeai : — « Eh ! l’homme ! Qui es-tu ? Et où vas-tu si vite ? » — « Je suis le coureur de la poste du roi sur qui soient les regards du Prophète.